la métamorphose du papillon

la métamorphose du papillon

Joseph Ouaknine.

Si le papillon n'avait pas d'ailes, il serait moche ! Horrible !

Imaginez-le avec de longues pattes fines et crochues, des antennes luisantes, un corps velu comme celui d'une araignée… et… pas d'ailes !

Vous le regarderiez ? Ne serait-ce du coin de l'œil ?

Votre enfant accepterait-il qu'un affreux lépidoptère ainsi dénudé se pose sur son épaule ou dans le creux de sa main ?

Iriez-vous les voir tels d'abominables bourdons rampants dans des serres de papillons défraîchis ?

Vous les épingleriez peut-être sur vos murs dans des cages de verre… Tintin, oui !

Par la fenêtre ou dans la poubelle, les affreuses bébêtes !

Dans les toilettes, et on tire la chasse par-dessus… non mais !
Le papillon a des noms à coucher dehors, c'est dire que personne ne lui décocherait un regard s'il ne jetait pas de la poudre aux yeux avec ses empennages de mariage princier : Rhopalocère ! Alucite ! Attacus ! Bombyx ! Danaïde ! Liparis ! Noctuelle ! Parnassien ! Phalène ! Saturnie ! Satyre ! Tiens, il est drôlement trouvé celui-là ! Vanesse ! Xanthie ! Zeuzère ! Zygène ! Et j'en passe, tous des noms de dinosaures !
Dire qu'il est le fruit d'une larve et se métamorphose en chenille rampante avant de se momifier grossièrement en chrysalide ! Remarquez, moi, je n'ai rien contre eux, je remarque seulement… certaines choses… Par exemple, que si le cafard avait les ailes du papillon, il serait beau !

Agréable à regarder et très apprécié ! Vous oseriez, vous, écraser un beau cafard avec des ailles somptueuses, jaune citron à petits points vert pastel et d'un magnifique liseré bleuté sur les bords ?
L'habit ne fait pas le moine… Eh ! Eh ! La preuve que si !
Que dire des coccinelles si elles n'avaient pas ce joli corps hémisphérique, ces élytres orangés à petits points noirs et ressemblaient à des puces ou des mouches à merde, qui plus est, sans ailes ? Vous les appelleriez la bête à Bon Dieu peut-être ?

Vous les laisseriez grimper sur votre doigt en l'air en lui chantant des louanges, pardi ?

Vous refuseriez de l'écraser car soi-disant cela porte-malheur, sans doute ? Tintin, oui ! C'est en courant que vous déguerpiriez en criant papa, maman !
Mettez-y des ronds verts et bleus sur vos blattes et vos mites et dites-moi ce que vous en pensez !

Ah ! J'attends de savoir, tiens ! Ce n'est plus au Bayon vert ou jaune que vous allez les chasser, c'est au mouchoir en soie ! Au petit papier blanc glacé !

Avec de jolis filets crochetés ! Je vous y vois déjà :
- Venez voir les enfants, la jolie petite blatte sur la table à manger ! Ah ! Ah ! Regardez ses belles couleurs, elle grimpe sur mon doigt ! Faites un vœu les enfants…
C'est la preuve que le Bon Dieu a mal faite les choses, ou plutôt, qu'il a maquillé la vraie beauté des animaux par une parure falsifiée.

C'est vrai, quoi, ce n'est pas parce qu'on s'appelle "Chapon" qu'on est meilleur que "Canard". C'est un peu jouer avec des artifices, non ? C'est une question de goût somme toute relative… et la beauté, c'est pareil !

Il faut remédier à tout cela… remettre les choses à leur place… retrouver la vraie nature des animaux et inverser les préjugés sur leur aspect !
Eh oui ! J'y réfléchis depuis longtemps, et j'observe… Tenez, l'autre jour, je me suis amusé à suivre un cancrelat jusque dans son refuge. Et que vis-je ? Hein ? Vous ne devinez pas ? Tintin, oui ! Je suis sûr que vous savez… Le désir ! Eh oui ! Véridique !

Le cancrelat se love contre son congénère, dès qu'il a franchi sa porte ! Alors ? Qu'en dites-vous ? C'est bien la preuve que ses pauvres petites bestioles, qui n'ont pas demandée à être présumées si laides, ont autant de sentiments qu'une colombe ou qu'un tourtereau !

Nous sommes manipulés depuis la nuit des temps ! C'est du trompe-l'œil !

Je vous le dis tout net ! Eh! Bien moi, je refuse de me soumettre aux exigences des traditionnelles définitions de la beauté, et pour tout dire, je vais jusqu'au bout de mes idées : je magnifie ce qui est injustement considéré comme hideux et j'avilis ce qui est jugé à tort comme le summum de la beauté !
J'habille mes compagnons d'infortune, ceux que la société rejette, ceux que le démon a soi-disant rendus disgracieux, et je les pare de toute la magnificence de l'univers. Je déshabille, dégrade et déchois ceux que la nature a privilégiés, ceux qui font craquer le monde entier de leurs fioritures tape-à-l'œil.
Je fixe d'adorables dentelles faites main sur le dos de mes limaces.

Je peins les coccinelles en noir. J'habille mes cafards de magnifiques parures dorées et trempe leurs pattes et leurs antennes dans de la peinture. Je déplume les paons dans les volières et brûle les plumes.

J'arrache les ailes des papillons pour les coller au cul de mes souris auxquelles je noue également un joli papillon autour de leur queue.
Je me faufile en grand secret dans les zoos pour peindre les cornes des rhinocéros couleurs pastel. Écoutez, je vais vous dire un secret : hier soir, je me suis introduit frauduleusement dans le musée d'histoire naturelle en plein centre de Paris !

J'y ai fait de ces dégâts ! J'en rigole encore ! Oh ! Je ne recommencerai plus, j'ai failli me faire prendre !

Vous verrez, ils vont en parler à la télévision… Hi ! Hi ! Il faut en avoir du culot pour taguer les dinosaures comme des zèbres !

Je suis sûr qu'il y aura bien quelques malins pour en faire des cartes postales ; c'est bien la preuve qu'il suffit d'un rien pour changer les mentalités, non ?
Enfin, revenons à mes coqueluches. Qu'ils sont beaux mes petits gastéropodes aux allures de fêtes !

Qu'elles sont belles mes petites souris endimanchées, et mes taupes avec des diamants dans les yeux !
Mais ce n'est pas tout… Je suis biologiste, et dans mon laboratoire secret, j'étudie des procédés de métamorphose des insectes rampants et des animaux domestiques…

Je prépare mes vaccins et mes poisons. Vous verrez, je suis sur le point de réussir.

Les chiens et les chats vont devenir hideux et seront massacrés, jetés dans des incinérateurs comme les pestiférés qu'ils auraient toujours dû être !

Bientôt, vos enfants câlineront des rats bleus comme des schtroumfs, dans leur lit avant de se coucher, et vous-même, vous accrocherez empaillées de jolies souris rouges à rayures vertes dans votre salon.

Les araignées remplaceront les papillons dans votre cœur. Vous aplatirez d'un coup de talon les canaris gris comme des blattes.
Non mais ! On ne me la fait pas à moi ! Qui va décider à ma place de ce qui est ravissant ou vilain ?

Certainement pas les préceptes de leurres soi-disant naturels et divinement établis ! Vous verrez… Tenez, pas plus tard que dans deux ans ! Oh ! Mais… Que vois-je ? Mais oui… Tiens, tiens… Voilà qui est intéressant… Euréka ! J'ai trouvé ! J'ai réussi !
- Eh ! Ce n'est même pas pour demain ! Ne vous retournez pas… J'arrive !

Joseph Ouaknine est un écrivain marocain né le 8 février 1957 à Rabat.

Salarié le jour et écrivain le reste du temps, la nuit devient sa muse.

Ce n'est que tardivement qu'il commence à développer sa passion pour l'écriture.

Outre la poésie, il s'est consacré à des genres littéraires très différents tels que le roman policier, le roman fantastique, les nouvelles.

 

Pour en savoir un peu plus : www.ouaknine.fr

 



30/10/2008
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